Hygiène hospitalière et sécurité des soins au Burkina Faso : « Des bases qui ont vocation à être consolidées »
Particulièrement importante pour garantir la sécurité des patients et des soignants, l’hygiène hospitalière est revenue sur le devant de la scène avec le déclenchement de la pandémie de Covid-19. Lancé à la suite de l’épidémie Ebola en Afrique de l’Ouest, le projet PRISMS, financé par l’Union européenne, a travaillé sur cette question au Burkina Faso depuis 2016. Le Dr Arouna Traoré, coordinateur du bureau Santé d’Expertise France au Burkina Faso, fait un bilan de ce projet qui s’est clôturé en mars 2020.
Le projet PRISMS a démarré en 2017. Quel était le bilan en matière d’hygiène hospitalière et de sécurité des soins ?
Dr Arouna Traoré – Notre premier constat était l’insuffisance de la coordination en matière de gouvernance et de mise en œuvre de la politique nationale d’hygiène hospitalière et de prévention des infections. Le manque de concertation entre acteurs, que ce soit entre services du ministère de la Santé, entre le ministère et les autres acteurs et même au sein des structures de soin, empêchait de gérer de façon coordonnée les questions relatives à l’hygiène hospitalière. Par exemple, dans certains hôpitaux, chaque service avait sa propre unité de stérilisation des matériels. Cela nuisait à l’efficacité des mesures mises en œuvre.
La crise sanitaire le prouve : il est essentiel de connaître et respecter les règles d’hygiène
Le second problème était l’application inégale des règles d’hygiène hospitalière au sein des structures de soin. En l’absence de directives nationales et de procédures standardisées, chaque hôpital avait développé les siennes, sans qu’elles soient forcément conformes aux normes internationales. Par exemple, les équipements de protection individuelle, comme les blouses ou les masques, n’étaient pas toujours de bonne qualité ou bien utilisés. Ce manque de cadre normatif et de personnels formés a pu être constaté dans tous les domaines essentiels au maintien de l’hygiène hospitalière : hygiène des mains, gestion des déchets biomédicaux, entretien ménager, nettoyage du linge hospitalier… Or la crise sanitaire actuelle le prouve : il est essentiel de connaître et respecter les règles d’hygiène pour protéger tant les patients que le personnel soignant.
Quelle a été la stratégie retenue par l’équipe du projet PRISMS ?
Dr Arouna Traoré – L’objectif du projet était ambitieux, et nous avons décidé d’agir là où nous pourrions avoir une plus grande valeur ajoutée.
Agir là où nous pourrions avoir une plus grande valeur ajoutée
D’une part, il était nécessaire d’accompagner les autorités sanitaires, notamment pour les appuyer dans la définition d’un cadre national unique pour l’hygiène hospitalière et la sécurité des soins.
D’autre part, à un niveau plus opérationnel, il fallait faire en sorte que ces nouvelles règles soient appliquées dans les hôpitaux, ce qui implique à la fois de la formation et des moyens matériels. C’est pour ces raisons que l’Union européenne et Expertise France ont structuré le projet PRISMS autour de ces deux axes, en concertation avec le ministère de la Santé et plus généralement les acteurs de soins.
Le Burkina Faso dispose donc désormais d’un cadre national pour l’hygiène hospitalière ?
Oui. Pour aider le ministère de la Santé à le définir, nous avons effectué une revue de tous les documents disponibles pour identifier ce qu’il fallait conserver, ce qu’il fallait compléter ou revoir et ce qu’il fallait élaborer.
Au total, ce sont 14 documents qui ont été élaborés, validés et diffusés
Cela nous a ensuite permis de travailler sur les documents, qui définissent des normes et des procédures standardisées. Au total, ce sont 14 documents qui ont été élaborés, rédigés dans un premier temps par un expert, puis validés par les autorités et diffusés dans les structures de soins : guide d’organisation et de fonctionnement des comités de prévention et de contrôle des infections associées aux soins , guide d’investigation et de surveillance des infections associées aux soins, liste d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs pour évaluer l’efficacité des mesures, liste des produits et matériels d’hygiène homologués, guide de bonnes pratiques de prescription des antibiotiques… Ces documents permettent aux responsables des hôpitaux de mettre en place des actions en matière d’hygiène hospitalière et de sécurité des soins.
Les personnels soignants ont dû se saisir de ces nouvelles normes. Comment le projet PRISMS a-t-il accompagné cette prise en main ?
Nous avions constaté au départ le manque de personnel spécialisé en hygiène hospitalière. Tout d’abord, nous avons donc aidé à renforcer les comités d’hygiène de chaque hôpital et à rendre opérationnelles leurs directions chargées de la qualité des soins. Ce sont ces acteurs qui sont chargés de définir l’organisation du travail et de promouvoir les bonnes pratiques : il fallait donc qu’ils soient bien structurés. C’est aujourd’hui leur rôle de proposer des actions pour faire face à la pandémie de Covid-19.
L’essentiel était de renforcer les compétences des personnels soignants
Ensuite, l’essentiel était de renforcer les compétences des personnels soignants. Nous avons organisé des formations en présentiel sur des thématiques adaptées à la spécialité de chacun – hygiène des mains, stérilisation, déchets biomédicaux, chirurgie… Nous avons aussi organisé des stages courts dans les CHU et mis en place des outils de sensibilisation (supports audiovisuels, livret du stagiaire pour les nouveaux arrivants, journée de l’hygiène des mains…).
Pour pérenniser ces acquis au-delà des personnes en poste, nous avons contribué à la formation d’un pool de 45 formateurs nationaux, avec la contribution de l’OMS, des CHU de Bordeaux et de Montpellier et du GERES pour le montage des plans de formation. Nous avons aussi accompagné la mise en place d’un diplôme universitaire sur l’hygiène hospitalière avec l’Université Nazi Boni (UNB) de Bobo-Dioulasso : les deux sessions de formation ont permis de former 52 personnes à ce stade.
Cela permet désormais au Burkina Faso d’être autonome sur la formation de ses personnels soignants en matière d’hygiène hospitalière et de disposer de personnes ressources, avec un rôle de supervision, tout en facilitant la coordination nationale et avec les pays voisins sur cette question.
Quel bilan faites-vous du projet PRISMS ?
S’il y a un élément à retenir, c’est que nous avons su nous adapter aux besoins de nos partenaires pour que les solutions proposées soient efficaces et que leurs résultats soient les plus durables possibles.
Proposer des solutions efficientes, mutualisées ou intégrées à des dispositifs déjà existants
Nous avons essayé de proposer des solutions efficientes, mutualisées ou intégrées à des dispositifs déjà existants. Cela a par exemple été le cas pour la stérilisation au centre hospitalier régional de Fada, qui est doté d’une unité de stérilisation commune à tous les services. Cette logique a aussi été appliquée à la gestion des déchets biomédicaux (DBM). Nous avions constaté que les règles de tri, de collecte et de destruction des DBM étaient mal maîtrisées – le code couleur des poubelles de tri n’était pas systématiquement respecté, un seul des six CHU du pays avait un incinérateur fonctionnel, d’autres structures ne disposaient pas de personnel formé à leur utilisation… Or ces déchets, potentiellement infectieux, représentent un risque pour la santé ou pour l’environnement s’ils sont brûlés à l’air libre ou stockés en décharge, ce qui pouvait être le cas.
La gestion des DBM demandant à la fois de la formation et des équipements, nous avons agi sur ces deux volets. A Ouagadougou, afin de mutualiser les coûts de fonctionnement, nous avons choisi de développer une plateforme mutualisée d’incinération pour la ville et ses environs. Il s’agit d’une première dans la sous-région ouest-africaine ! En région, des incinérateurs ont également été livrés. Cela s’est doublé de formations sur la maintenance préventive et curative, de façon à ce que ces structures soient pérennes.
Donner les moyens aux autorités et aux structures de soins d’être autonomes
L’autre élément à retenir, c’est que nous avons essayé de donner les moyens aux autorités et aux structures de soins d’être autonomes sur la question de l’hygiène hospitalière. Grâce à PRISMS, les six CHU et les huit centres hospitaliers régionaux ont par exemple été formés à la fabrication de la solution hydro-alcoolique, ce qui en ce moment s’avère être une compétence très précieuse dans la lutte contre le Covid-19 !
La problématique de l’hygiène hospitalière et de la sécurité des soins est donc aujourd’hui bien connue des autorités et des personnels de soins. PRISMS a permis de poser des bases qui ont vocation à être consolidées par le ministère de la Santé – qui est par exemple en train de mener un processus d’accréditation des structures de soin, sur la base du référentiel normatif que nous avons contribué à définir à travers l’élaboration de la stratégie nationale de la qualité des soins.
PRISMS a permis de poser des bases qui ont vocation à être consolidées
Mais toujours est-il qu’aujourd’hui, les équipements manquent : cela fragilise le système de santé et expose tant les patients que les soignants. Les dotations en équipements et en intrants apportées dans le cadre du projet PRISMS ne peuvent évidemment suffire à faire face à une potentielle extension de la pandémie de Covid-19 au Burkina Faso. Cela pose la question des financements, et donc des moyens alloués à la politique d’hygiène hospitalière et de sécurité des soins du pays. Or, si le système de santé est fragilisé, cela risquera d’avoir un impact sur les autres maladies comme le VIH, la tuberculose, le paludisme ou encore les maladies chroniques qui ne pourront pas être traitées correctement.